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05/11/2013

Achille Mbembé : "l'abandon, l’indifférence vis-à-vis de pans entiers de l’humanité deviennent les formes paroxystiques de l’exploitation capitaliste"

Remarquable analyse de l'historien camerounais, qui enseigne en Afrique du Sud et aux Etats-Unis. Extraits  :

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<< Est ''nègre'' une large catégorie de l’humanité qu’on pourrait qualifier de subalterne. Une humanité pour laquelle la grande tragédie, c’est de ne même plus pouvoir être exploitée. [...] Les pauvres cherchent à se vendre là où, autrefois, ils étaient vendus. Et c’est ce retournement du mécanisme d’exploitation qui conduit à considérer que la condition nègre ne renvoie plus nécessairement à une affaire de couleur. Le nègre est devenu post-racial, il s’identifie à une nouvelle catégorie de gens qui ne sont même plus exploitables et qui sont, par conséquent, laissés à l’abandon.

...L’abandon, l’indifférence vis-à-vis de pans entiers de l’humanité deviennent les formes paroxystiques de l’exploitation capitaliste. Tout simplement parce que la production de richesses s’est détachée des besoins réels. Elle ne sert plus à offrir du travail et à réduire le chômage, elle ne permet plus depuis longtemps d’aboutir à de nouvelles procédures de redistribution. La richesse, du fait de la financiarisation de l’économie, est devenue abstraite, elle n’a plus autant besoin des travailleurs ou des esclaves.

Aujourd’hui, presque tout se vend et s’achète. C’est la consécration d’une des pulsions originelles du capitalisme qui, dès le départ, visait à l’illimité et à la maîtrise totale sur tout ce qui existe : les espèces, le vivant au sens biologique. Effectivement, l’empire de la marchandise recouvre presque tous les domaines de la vie. On en arrive même à s’exhiber pour être consommé, à faire de sa vie un spectacle, comme sur Facebook où je donne à consommer ce que je suis à un moment donné. On se vend et, dans le même temps, on donne aussi une âme aux choses. Les objets sont vivants, on les aime, on les valorise plus que tout désormais, on leur accorde une âme. Les luttes modernes, du XVe siècle jusqu’à une époque récente, ont visé à faire en sorte qu’une distinction demeure entre la personne humaine et la chose[...] Mais le nouvel âge du capitalisme rejoint plutôt l’animisme. A l’image  de ces sociétés primitives qu’on définissait par une certaine confusion entre l’animé et l’inanimé, le néolibéralisme consumériste donne une âme à ce qui est inerte. Aujourd’hui, à tout prendre, il vaut parfois mieux être un objet qu’un être humain. [...Mais justement, seuls les objets vivent dans un monde mondialisé ! Pour les êtres humains, c’est une autre affaire... >>

 

(Libération, 01/11). 

 

19:48 Publié dans Idées, Société | Lien permanent